
L’IMMEUBLE DE BRAVES de Bojina Panayotova
Par Justine Alleron, membre du Comité de sélection
Voici quatre grands films bretons qui se font écho en ce qu’ils explorent, grâce à leur mise en scène qui agit comme un catalyseur, le mélange des genres. Tous nous viennent d’ailleurs, des confins de l’Europe de l’Est jusqu’à la Chine.
Suivre Gu Tao, L’Immeuble des braves et The Big guys is here sont trois documentaires qui brouillent savamment les frontières avec la fiction, et transfigurent leurs protagonistes en de véritables personnages, pris entre sursauts et péripéties. Si Gu Tao, documentariste qui s’intéresse aux minorités ethniques du nord de la Chine, se rapproche d’un personnage tragique, désœuvré, cherchant à fuir le monde, Ivan quant à lui fait figure d’homme enraciné et providentiel, nourrissant chats et chiens au pied d’un immeuble bulgare désaffecté, affrontant, contre vents et marées, l’autorité et la corruption. Et lorsque la mafia locale de la province du Hebei, ivre et violente, encercle deux amis français, une faille spatiotemporelle se crée, où même les mots n’ont plus de sens et où aucun repère ne peut régir la réalité altérée. Dans My Father is a superhero, fiction magique qui remodèle et dépasse son genre, il est aussi question, dans un sens, de perte de repères. Virgil, troquant sa voiture télécommandée contre un piranha, va chercher l’extraordinaire dans son village de campagne roumaine. Il provoque alors l’inattendu et déplace ailleurs l’écrin réaliste dans lequel son histoire était fixée, pour, dans le même mouvement, retrouver un ancrage certain au monde.
Ces quatre œuvres forment un échantillon hétérogène, mais toujours saisissant, qui repousse et transcende les limites – tant imaginatives que matérielles – du monde tangible et en invente ainsi de nouvelles représentations singulières.
Pour visionner les films, rendez-vous sur KuB du 5 juin au 5 juillet !


SUIVRE GU TAO : CHRONIQUE D’UN HIVER Antoine Hervé
Lieu de tournage : Chine
Autoproduction
Documentaire | 2016 | 25'48''
PITCH : Gu Tao, un documentariste indépendant chinois part au Qinghai, dans un village tibétain, pour tourner un film sur les minorités ethniques de cette région.
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COMMENTAIRE - Par Justine Alleron, membre du Comité de sélection :
Premier film du rennais Antoine Hervé, SUIVRE GU TAO est un documentaire qui brouille savamment les frontières avec la fiction pour transfigurer son protagoniste en un réel personnage dramatique.
Gu Tao, documentariste qui s’intéresse aux minorités ethniques du nord de la Chine, est en couple avec une jeune femme et père depuis peu. Même s’il vient d’emménager avec sa famille dans un nouvel appartement, il continue de voyager à travers son pays en quête de matière première pour ses films.
Lors de ses escapades dans le Qinghai, il boit beaucoup et se confie, comme si les mots lui permettaient d'exercer une emprise sur sa propre vie et d’atteindre un niveau de conscience un peu plus accru. Pourtant, entre phrases philosophiques, doutes, réflexions personnelles, appels téléphoniques de sa compagne, inquiète et en pleurs, il interroge sa réalité. Le temps semble dilaté et Gu Tao perdu. Face à la caméra, dont on ne sait plus si elle fait figure d’appareil enregistreur ou de miroir, il incarne un véritable personnage tragique, hanté, désœuvré, qui cherche autant à fuir le monde que lui-même.
BIO DU RÉALISATEUR :
Antoine Hervé est né en 1991 à Rennes. De 2012 à 2014, il a été le directeur artistique du festival Shadows. De 2014 à 2016, il a été consultant pour le festival Visions du Réel. En 2016, il a réalisé le court métrage, SUIVRE GU TAO : CHRONIQUE D'UN HIVER.
ℹ : Antoine Hervé est bien connu du Festival. Outre SUIVRE GU TAO, il a obtenu le Grand Prix du Jury pour son film THE BIG GUYS IS HERE.
Grand Prix du Jury (2018)

THE BIG GUYS IS HERE Antoine Hervé
Grand Prix du Jury (Festival du film de l'Ouest, 9ème édition - 2018)
Lieu de tournage : Chine
Autoproduction
Documentaire | Drame mafieux | 2017 | 14'55''
PITCH : Un huis clos improbable ponctué de flash-back dans l'ambiance mafieuse de la campagne du Hebei (Chine) pendant le nouvel an chinois.
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COMMENTAIRE - Par Justine Alleron, membre du Comité de sélection :
Avec THE BIG GUYS IS HERE, son second projet, Antoine Hervé retourne en Chine, caméra à la main. Il nous livre un film immersif, entre huis clos suffocant et prise d’otage sur fond de règlement de compte, qui confirme son geste documentaire singulier, où il n’est pas question de lois, de normes, de propos civiques.
Lorsque la mafia locale de la province chinoise du Hebei, ivre et violente, encercle deux amis français, une faille spatio-temporelle se crée, où même les mots n’ont plus de sens. Ni l’histoire, ni les actions, ni les faits, ni l’environnement ne sont fixés. Les langues qui se mêlent et les coups qui partent sont autant d’éclats de cette réalité altérée qu’aucun repère ne peut régir.
Le seul témoin de ce monde étourdissant, délirant, est le cinéaste lui-même qui arrive, grâce notamment à son point de vue interne et la mise en place d’un montage alterné, à repousser et transcender les limites – tant imaginatives que matérielles – du monde tangible pour en inventer une nouvelle représentation singulière. L’incohérence générale devient alors logique, et le cinéma montre qu’il est capable de se défaire de ses intentions pseudo politiques ou purement sociales pour atteindre par l’audace et la justesse qui l’élèvent un état rare et donc précieux.
BIO DU RÉALISATEUR :
Antoine Hervé est né en 1991 à Rennes. De 2012 à 2014, il a été le directeur artistique du festival Shadows. De 2014 à 2016, il a été consultant pour le festival Visions du Réel. En 2016, il a réalisé le court métrage, SUIVRE GU TAO : CHRONIQUE D'UN HIVER.
ℹ : Antoine Hervé est bien connu du Festival. Outre SUIVRE GU TAO, il a obtenu le Grand Prix du Jury pour son film THE BIG GUYS IS HERE.
Grand Prix du Jury (2019)

L’IMMEUBLE DES BRAVES Bojina Panayotova
Grand Prix du Jury (Festival du film de l'Ouest, 10ème édition - 2019)
Lieu de tournage : Bulgarie
Production : Stank (Brest)
Documentaire | 2019 | 23'
PITCH : Comme chaque jour, Ivan revient devant l'immeuble dont il s'est fait expulser. Il vient nourrir Gigi et Sara, deux chiens errants qui vivent encore là. Mais ce matin, les chiens ont disparu…
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COMMENTAIRE - Par Pascale Breton, cinéaste :
Arracher un morceau à la vie, tel est le but effarant du cinéma. Formulé ainsi, on imagine la cinéaste tapie pendant le festin du tigre du réel, guettant un moment d’inattention. S’il n’en tenait qu’à elle, peut-être se confierait-elle à un poème, un dessin. Et le cinéma pourrait disparaître comme il est apparu, à la faveur d’une mutation du regard. Mais le spectateur veut ce morceau de choix, il réclame cette victoire sur la mort.
Dans son premier long-métrage, JE VOIS ROUGE, Bojina Panayotova présentait la mutation d’un pays (la Bulgarie) sous la forme d’une chronique personnelle. A contrario, dans ce court-métrage issu du matériau du même tournage, elle part d’une anecdote pour bâtir une épopée. Embarquées par la colère puis la détresse d’un homme qui cherche ses chiens, la caméra et la cinéaste documentent sa quête avec le désir de ne pas manquer une miette de l’énigme de rencontre.
La suite est simple comme la nouvelle vie quotidienne : la fourrière a un nom à consonance écologique, la ligne de bus qui y mène a été supprimée et, à la volée, vu d’un bus, un groupe de policiers à l’air sournois rôde autour d’un homme menotté face contre terre.
La dystopie c’est maintenant. Il suffit de voir l’effroi que suscite l’œil noir de la caméra dans les regards des personnes rencontrées, effroi dont le montage fait un motif. Ce qui fait peur dans cet œil, ce n’est pas exactement ce qu’il capte, c’est le hublot qu’il ouvre sur la profondeur du temps. À l’ombre d’un bosquet urbain par ce jour chaud, la vision des couches délaissées des chiens disparus (« C’est là qu’ils faisaient la sieste ») nous fait pleurer sur notre propre abandon, et annule toutes les déceptions que nous cause parfois le cinéma.
BIO DE LA RÉALISATRICE :
Bojina Panayotova est née en 1982 en Bulgarie. À la chute du mur, elle suit sa famille qui émigre en France. Après des études de cinéma à La Fémis, elle repart en Bulgarie et se lance dans la fabrication de films sauvages. Son premier long métrage documentaire JE VOIS ROUGE sort en salles au printemps 2019. L’IMMEUBLE DES BRAVES est son cinquième film.

MY FATHER IS A SUPERHERO Lisa Diaz
Lieu de tournage : Roumanie
Autoproduction
Fiction | 2017 | 9'32''
PITCH : La voiture télécommandée de Virgil ne roule pas bien sur les chemins caillouteux de son village. Daria lui propose de la lui échanger contre un piranha qu’elle aurait soi-disant pêché dans la rivière…
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COMMENTAIRE - Par Justine Alleron, membre du Comité de sélection :
Projet singulier de la cinéaste Lisa Diaz, membre du collectif Makiz’art et de l’ARBRE, MY FATHER IS A SUPERHERO est réalisé dans le cadre d’une résidence à Slon, en Roumanie.
Virgil troque sa voiture télécommandée, qui peine à rouler correctement sur les graviers, contre un piranha que Daria a pêché dans la rivière. D’échange en échange, le mystère s’installe autour d’un homme avec une cape, et la caméra réussit à capter toute l’assurance et la détermination de l’enfant qui ne lâchera pas l’affaire. La fiction, au style minimaliste et épuré, prend alors des allures de conte magique et baroque lorsque le jeune protagoniste parvient finalement à provoquer l’inattendu au détour d’une nuit dans son village de campagne. Si cet état, rare et étrange, permet à Virgil de déplacer ailleurs l’écrin réaliste dans lequel son histoire était fixée, il lui permet aussi, dans le même mouvement, de retrouver un ancrage certain au monde en prouvant qu’il ne s’était pas trompé.
ℹ : Lisa Diaz est déjà bien connue du Festival du film de l’Ouest, avec notamment deux films sélectionnés en compétition : L’OREILLE DU PIANISTE et MA MAISON.